Vous
avez, sans aucun doute, tous entendu parler de Jabeur Mejri. Il a été condamné
à 7 ans et demi pour une caricature postée sur un réseau social. Mais ce que
vous ne saviez pas forcément ce sont les chefs d’accusation.
- 5
ans pour trouble à l’ordre public pour un particulier qui avait 16
« fans » sur sa page personnelle … ,
- 2
ans pour offense à autrui dans un pays où les prêches et les actes violents,
les appels à la violence et aux meurtres sont, criminellement, ignorés,
- 6
mois pour atteinte aux bonnes mœurs car le juge s’octroie le droit, sous
contrainte politique, de décider quelles sont les mœurs acceptables.
Du
temps de Ben Ali, la Liberté d’Expression comme l’ensemble des libertés
fondamentales et des droits individuels, était bafouée. Il suffisait d’exprimer
une opinion déplaisante pour le régime pour que le chef d’inculpation
« trouble à l’ordre public » soit brandi. Ces mots magiques pour une
justice aux ordres, ils sont nombreux à le connaître et à en avoir subi dans
leurs chaires les conséquences : Moncef Marzouki, Mohamed Abbou,
Abderraouf Ayadi, Hamma Hammami, Fahem Boukaddous, … La liste
est longue. Elle comporte des hommes, des femmes, des connus, des anonymes, …
Pourtant,
parmi celles et ceux qui ont connu ces souffrances et qui sont actuellement en
situation de décider, on constate qu’ils ne font que reproduire les mêmes
injustices avec les mêmes méthodes.
Nous,
membre du Comité de soutien à Jabeur, avons eu du mal à réaliser le jugement du
Tribunal de 1ère instance, tellement la peine était lourde,
disproportionnée et prononcée avec une telle précipitation (arrestation le 5
mars 2012, jugement le 28 mars 2012) et sans la présence d’un avocat !
Nous avons cru à une erreur et espéré dans le jugement de la cours d’Appel mais
non, en juin 2012, la condamnation était confirmée.
Après
une année d’emprisonnement, la Cours de Cassation n’avait toujours pas fixé de
date pour se prononcer sans aucune raison claire pour le justifier. Jabeur,
pendant cette longue attente en prison, a perdu confiance en la justice et a
demandé, lui même, dégouté et désespéré, le retrait de sa demande en cassation.
La
condamnation devenant de droit et de fait définitive, le Comité de soutien
espérait en ultime recours la grâce présidentielle. Elle était comme une
évidence. La mascarade allait cesser.
Nous
étions confiants, forts des déclarations du Président de la République qu’elles
furent publiques ou celles privées qu’on nous a rapporté. Avec son droit
régalien, l’indépendance des autorités judiciaires n’était pas remise en cause.
Qui
mieux qu’un militant des Droits de l’Homme, ancien Président de la LTDH, membre
d’Amnesty International et qui lui même a souffert de l’injustice pour ses
opinions, pouvait soutenir cette cause ?
Nous
avons respecté les formes et le droit. Nous avons introduit une demande de
grâce présidentielle auprès du Ministère de la Justice, malgré un formalisme
pointilleux et déplacé et nous avons demandé audience auprès de la Présidence.
Par
l’entremise d’une ONG, nous avons pu obtenir un rendez-vous avec le 1er
Conseiller du Président, M. Azyz Krichene. Lors de cette rencontre, nul besoin
de parler du dossier ou d’argumenter, notre interlocuteur était parfaitement
informé du dossier et convaincu, selon ses dires, que Jabeur n’avait rien à
faire en prison. M. Krichene a tenu la maman de Jabeur dans ses bras et lui a affirmé,
droit dans les yeux, qu’il avait été de l’autre côté de la barrière et qu’il
comprenait parfaitement sa peine de mère. Il nous a donné espoir. Et l’espoir,
c’est tout ce qui reste à cette famille.
Quelques
jours plus tard, le Comité a été invité au Palais pour rencontrer le Conseiller
chargé des Droits de l’Homme. Nous y avons entendu le même discours : sa
place n’est pas en prison … ce n’est pas une image positive pour la Tunisie
nouvelle … les Nations Unies, Amnesty et les autres ONG en parlent … La Liberté
d’Expression est un acquis de la Révolution …
Le
25 Juillet, fête de la République, il n’y a pas eu de grâce présidentielle. A
la fête de l’Aïd, nous attendions avec impatience la sortie de Jabeur. Nous
rêvions encore à Jabeur qui passerait les fêtes de l’Aïd en famille… Ce jour là
a été long. Probablement le plus long pour chacun d’entre nous. La sœur de
Jabeur n’a pas arrêté de téléphoner pour avoir des nouvelles. Midi … après midi
… fin d’après midi … fin de journée … Et
pas de nouvelles. Nous avons alors compris.
Jabeur
reste en prison.
Jabeur
reste en prison et nous ne savons pas pourquoi. Nous avons demandé des
explications. Mais rien. Et les questions se sont mises à tourner en boucle.
Comment
peuvent-ils laisser Jabeur en prison et nous parler de démocratie, de libertés,
de droits de l’Homme ?
Comment
peuvent-ils promouvoir une Tunisie qui a chassé un dictateur et accepter que
Ghazi Beji ait obtenu le statut de réfugié politique à l’étranger ?
Comment
peuvent-ils regarder le peuple en face et lui promettre un avenir quand un
prisonnier d’opinion reste en prison ?
Comment
peut-on parler de Révolution si Jabeur est en prison pour des idées ?
Au
début, peu de gens se sont mis à la place de Jabeur Mejri. Un cas isolé
pensaient-ils. Et puis cette histoire de caricature, cela reste sensible. Il
vaut mieux ne pas s’en mêler. Mais ce qui a commencé avec Jabeur a continué.
Les atteintes aux libertés et les menaces ont concerné des artistes, des
expositions, des chanteurs, puis certains journalistes ou patron de médias,
puis les médias en totalité.
Jabeur
est en prison. D’autres Jabeur suivent. Pensent-ils, comme Ben Ali avant eux,
mettre des idées en prison ? Pensent-ils pouvoir nous faire taire ?
D’autres Jabeur suivent. Mais d’autres Jabeur se révèlent. Je suis Jabeur. Nous
le sommes tous. Car nous sommes tous en danger maintenant. Mais nous avons
décidé fermement de nous exprimer haut et fort. Défendre Jabeur aujourd’hui,
c’est défendre le droit de chaque Tunisienne et Tunisien à la Liberté
d’Expression.
Voilà
pourquoi, nous avons décidé de lancer le Mouvement du 13 Mars. Cette date a été
retenue par la Présidence, en 2012,
comme journée nationale Zouhair Yahyaoui, pour la liberté d’expression
sur internet.
Ce
Mouvement vous annonce que chaque 13 du mois qu’il appelle à un rassemblement (le
lieu sera précisé prochainement) pour rappeler à chacun d’entre nous que
Jabeur, prisonnier d’opinion, est en prison. Nous appelons chaque personne,
chaque famille, chaque citoyen, chaque anonyme à nous rejoindre et à faire de
ce rendez-vous celui de la défense des prisonniers d’opinion en Tunisie.
Nous
organiserons des ateliers de blogging, de graffitis, de « street
Poetry », de « Tsawer Charaa », des concerts de soutien et
toutes formes d’expression possibles pour sensibiliser et former les Tunisiens,
en particulier les jeunes, à leur liberté fondamentale de s’exprimer librement
et en mémoire de toutes celles et ceux qui sont morts ou ont été blessés pour
que cette liberté puisse être la leur.
Nous
utiliserons l’ensemble des médias, réseaux sociaux, réseaux militants, qu’ils
soient nationaux ou internationaux, pour parler de Jabeur. Nous chercherons à
être dans tous les festivals réunissant des artistes, des dessinateurs, des
musiciens, des créateurs, … pour y parler haut et fort de ce prisonnier
politique.
Nous
serons le relai des ONG nationales et internationales pour que le dossier de
Jabeur soit évoqué et défendu à chaque réunion et chaque action.
Nous
saisirons les partenaires politiques et économiques de la Tunisie pour les
alerter de cette situation.
Nous
prendrons chacune des occasions qui nous sera donnée dans les petits moments
comme dans les grands rendez-vous nationaux et internationaux de la Tunisie,
pour nous faire remarquer. Nous n’hésiterons pas à déranger les gens, les
esprits, les réunions, les colloques et autres conférences pour faire connaître
l’injustice qui est faite à un simple citoyen qui n’a d’autres tords que celui
de s’être exprimé.
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Vidéo de la conférence de presse :