samedi 24 août 2013

Retour sur la conférence de presse et création du Mouvement du 13 mars (Videos)



Vous avez, sans aucun doute, tous entendu parler de Jabeur Mejri. Il a été condamné à 7 ans et demi pour une caricature postée sur un réseau social. Mais ce que vous ne saviez pas forcément ce sont les chefs d’accusation.



-     5 ans pour trouble à l’ordre public pour un particulier qui avait 16 « fans » sur sa page personnelle … ,

-     2 ans pour offense à autrui dans un pays où les prêches et les actes violents, les appels à la violence et aux meurtres sont, criminellement, ignorés,

-     6 mois pour atteinte aux bonnes mœurs car le juge s’octroie le droit, sous contrainte politique, de décider quelles sont les mœurs acceptables.



Du temps de Ben Ali, la Liberté d’Expression comme l’ensemble des libertés fondamentales et des droits individuels, était bafouée. Il suffisait d’exprimer une opinion déplaisante pour le régime pour que le chef d’inculpation « trouble à l’ordre public » soit brandi. Ces mots magiques pour une justice aux ordres, ils sont nombreux à le connaître et à en avoir subi dans leurs chaires les conséquences : Moncef Marzouki, Mohamed Abbou, Abderraouf Ayadi, Hamma Hammami, Fahem Boukaddous, … La liste est longue. Elle comporte des hommes, des femmes, des connus, des anonymes, …



Pourtant, parmi celles et ceux qui ont connu ces souffrances et qui sont actuellement en situation de décider, on constate qu’ils ne font que reproduire les mêmes injustices avec les mêmes méthodes.



Nous, membre du Comité de soutien à Jabeur, avons eu du mal à réaliser le jugement du Tribunal de 1ère instance, tellement la peine était lourde, disproportionnée et prononcée avec une telle précipitation (arrestation le 5 mars 2012, jugement le 28 mars 2012) et sans la présence d’un avocat ! Nous avons cru à une erreur et espéré dans le jugement de la cours d’Appel mais non, en juin 2012, la condamnation était confirmée.

Après une année d’emprisonnement, la Cours de Cassation n’avait toujours pas fixé de date pour se prononcer sans aucune raison claire pour le justifier. Jabeur, pendant cette longue attente en prison, a perdu confiance en la justice et a demandé, lui même, dégouté et désespéré, le retrait de sa demande en cassation.



La condamnation devenant de droit et de fait définitive, le Comité de soutien espérait en ultime recours la grâce présidentielle. Elle était comme une évidence. La mascarade allait cesser.



Nous étions confiants, forts des déclarations du Président de la République qu’elles furent publiques ou celles privées qu’on nous a rapporté. Avec son droit régalien, l’indépendance des autorités judiciaires n’était pas remise en cause.



Qui mieux qu’un militant des Droits de l’Homme, ancien Président de la LTDH, membre d’Amnesty International et qui lui même a souffert de l’injustice pour ses opinions, pouvait soutenir cette cause ?



Nous avons respecté les formes et le droit. Nous avons introduit une demande de grâce présidentielle auprès du Ministère de la Justice, malgré un formalisme pointilleux et déplacé et nous avons demandé audience auprès de la Présidence.



Par l’entremise d’une ONG, nous avons pu obtenir un rendez-vous avec le 1er Conseiller du Président, M. Azyz Krichene. Lors de cette rencontre, nul besoin de parler du dossier ou d’argumenter, notre interlocuteur était parfaitement informé du dossier et convaincu, selon ses dires, que Jabeur n’avait rien à faire en prison. M. Krichene a tenu la maman de Jabeur dans ses bras et lui a affirmé, droit dans les yeux, qu’il avait été de l’autre côté de la barrière et qu’il comprenait parfaitement sa peine de mère. Il nous a donné espoir. Et l’espoir, c’est tout ce qui reste à cette famille. 



Quelques jours plus tard, le Comité a été invité au Palais pour rencontrer le Conseiller chargé des Droits de l’Homme. Nous y avons entendu le même discours : sa place n’est pas en prison … ce n’est pas une image positive pour la Tunisie nouvelle … les Nations Unies, Amnesty et les autres ONG en parlent … La Liberté d’Expression est un acquis de la Révolution …



Le 25 Juillet, fête de la République, il n’y a pas eu de grâce présidentielle. A la fête de l’Aïd, nous attendions avec impatience la sortie de Jabeur. Nous rêvions encore à Jabeur qui passerait les fêtes de l’Aïd en famille… Ce jour là a été long. Probablement le plus long pour chacun d’entre nous. La sœur de Jabeur n’a pas arrêté de téléphoner pour avoir des nouvelles. Midi … après midi … fin d’après midi … fin de journée  … Et pas de nouvelles. Nous avons alors compris.



Jabeur reste en prison.



Jabeur reste en prison et nous ne savons pas pourquoi. Nous avons demandé des explications. Mais rien. Et les questions se sont mises à tourner en boucle.

Comment peuvent-ils laisser Jabeur en prison et nous parler de démocratie, de libertés, de droits de l’Homme ?

Comment peuvent-ils promouvoir une Tunisie qui a chassé un dictateur et accepter que Ghazi Beji ait obtenu le statut de réfugié politique à l’étranger ?

Comment peuvent-ils regarder le peuple en face et lui promettre un avenir quand un prisonnier d’opinion reste en prison ?

Comment peut-on parler de Révolution si Jabeur est en prison pour des idées ?



Au début, peu de gens se sont mis à la place de Jabeur Mejri. Un cas isolé pensaient-ils. Et puis cette histoire de caricature, cela reste sensible. Il vaut mieux ne pas s’en mêler. Mais ce qui a commencé avec Jabeur a continué. Les atteintes aux libertés et les menaces ont concerné des artistes, des expositions, des chanteurs, puis certains journalistes ou patron de médias, puis les médias en totalité.



Jabeur est en prison. D’autres Jabeur suivent. Pensent-ils, comme Ben Ali avant eux, mettre des idées en prison ? Pensent-ils pouvoir nous faire taire ? D’autres Jabeur suivent. Mais d’autres Jabeur se révèlent. Je suis Jabeur. Nous le sommes tous. Car nous sommes tous en danger maintenant. Mais nous avons décidé fermement de nous exprimer haut et fort. Défendre Jabeur aujourd’hui, c’est défendre le droit de chaque Tunisienne et Tunisien à la Liberté d’Expression.



Voilà pourquoi, nous avons décidé de lancer le Mouvement du 13 Mars. Cette date a été retenue par la Présidence, en 2012,  comme journée nationale Zouhair Yahyaoui, pour la liberté d’expression sur internet.



Ce Mouvement vous annonce que chaque 13 du mois qu’il appelle à un rassemblement (le lieu sera précisé prochainement) pour rappeler à chacun d’entre nous que Jabeur, prisonnier d’opinion, est en prison. Nous appelons chaque personne, chaque famille, chaque citoyen, chaque anonyme à nous rejoindre et à faire de ce rendez-vous celui de la défense des prisonniers d’opinion en Tunisie.



Nous organiserons des ateliers de blogging, de graffitis, de « street Poetry », de « Tsawer Charaa », des concerts de soutien et toutes formes d’expression possibles pour sensibiliser et former les Tunisiens, en particulier les jeunes, à leur liberté fondamentale de s’exprimer librement et en mémoire de toutes celles et ceux qui sont morts ou ont été blessés pour que cette liberté puisse être la leur.



Nous utiliserons l’ensemble des médias, réseaux sociaux, réseaux militants, qu’ils soient nationaux ou internationaux, pour parler de Jabeur. Nous chercherons à être dans tous les festivals réunissant des artistes, des dessinateurs, des musiciens, des créateurs, … pour y parler haut et fort de ce prisonnier politique.



Nous serons le relai des ONG nationales et internationales pour que le dossier de Jabeur soit évoqué et défendu à chaque réunion et chaque action.



Nous saisirons les partenaires politiques et économiques de la Tunisie pour les alerter de cette situation.



Nous prendrons chacune des occasions qui nous sera donnée dans les petits moments comme dans les grands rendez-vous nationaux et internationaux de la Tunisie, pour nous faire remarquer. Nous n’hésiterons pas à déranger les gens, les esprits, les réunions, les colloques et autres conférences pour faire connaître l’injustice qui est faite à un simple citoyen qui n’a d’autres tords que celui de s’être exprimé.

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Vidéo de la conférence de presse :