(La traduction du jugement en français ainsi que d'autres éléments de ce procès suivent cet article essentiel pour comprendre le contexte de la condamnation de Jabeur et Ghazi)
La liberté d’opinion,
le sacré et la Justice
Le jugement du Tribunal de Première Instance
de Mahdia du 28 mars 2012
Ali Mezghani, Kalthoum Meziou- Doraï, Monia Ben Jémia, Souhayma Ben Achour Professeurs de droit ; Mokhtar Trifi, avocat, ancien Président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme.
Jabeur Mejri croupit en prison,
condamné pour avoir écrit un texte et diffusé des images qui mettraient en cause la personne du prophète. Ghazi
Béji est en fuite à l’étranger où il est sous le régime précaire de la « protection
subsidiaire ». On ne sait lequel a le sort le plus enviable. Mais
ils sont tous les deux condamnés à la lourde peine de 7 ans et demi de prison
pour avoir diffusé les documents incriminés.
Délits d’opinion qui interpellent la Justice quant à son indépendance et
quant à sa politique pénale.
La séparation des pouvoirs
n’implique pas l’indépendance du pouvoir judiciaire uniquement à l’égard
de l’exécutif. L’indépendance de la
justice se mesure aussi au degré de son détachement des choix idéologiques et
des orientations philosophique, religieuse et partisane. Il en est en
particulier ainsi lorsque tel choix idéologique est celui d’un parti au
pouvoir. La faculté de juger peut être faussée par la peur lorsque la menace
provient de groupe organisé qui, dans l’exercice de la violence, bénéficie de
la clémence du pouvoir en place. Le juge
n’est indépendant que dans la mesure où, dans la sérénité, il ne se soumet qu’à
l’ordre de la loi. Ce principe valable en toute matière est une exigence
fondamentale du droit pénal.
Parce qu’il y est question de
privation de liberté, le droit pénal obéit à une logique spécifique et doit
répondre à des contraintes strictes. S’il a pour objectif de protéger la
société et des personnes contre les agressions, il se doit aussi de préserver
l’intégrité physique des individus, leur dignité et leur liberté. La première
ne peut se réaliser au détriment des secondes. La loi ne peut y être rétroactive
et aucun fait ne peut être puni sans une loi antérieure à son accomplissement.
S’il sanctionne, il ne châtie point. C’est pourquoi la peine doit être
personnalisée et proportionnée.
Les droits de la défense sont une
considération essentielle du droit pénal. L’inculpé doit en effet être en
mesure de se défendre. Le jugement de Mahdia est sur ce point particulièrement
laconique. Il y est fait état de la présence en audience d’un avocat qui
réserve les droits de la partie civile. Il y aurait donc (parce qu’il faut le
supposer) en l’espèce une partie civile qui n’apparaît pourtant nulle part dans
le jugement. A moins qu’il ne s’agisse des deux « informateurs »,
dont il est fait état à plusieurs reprises,
et qui sont à l’origine du procès.
L’essentiel réside dans l’absence radicale des avocats de la défense.
Des inculpés qui encourent une condamnation à 7 ans et demi
d’emprisonnement sans être
assistés ! Certes, l’office de l’avocat n’est pas obligatoire en matière
correctionnelle, mais une bonne administration de la justice eût exigé du juge
qu’il mît les inculpés en situation de se faire représenter. Comment, sans l’intervention d’un
avocat, pouvaient-ils se prévaloir de la
difficile question de l’abrogation, comme cela a été soutenu dans procès intenté
aux dirigeants de la chaine privée de télévision Nessma, de l’article 121 ter
du CP par le décret –loi n° 2011 - 115-
du 2 novembre 2011?
Le tribunal a choisi de faire
condamner sans attendre. Il est bon que la justice soit rapide, mais dans le cas
de l’espèce, elle fut expéditive: une seule audience de jugement (le 28 mars
2012) tenue, moins d’un mois après les premiers actes d’investigation (le 5
mars). On comprend alors pourquoi aucune indication n’est donnée sur les
arguments de la défense ni sur la nature exacte de l’atteinte au
« sacré » dont les inculpés sont accusés. Il n’y a ni description des
images ni reproduction d’extraits de la nouvelle diffusées qui constituent les pièces à conviction.
Il n’y a pas de sanction pénale
sans une loi antérieure aux faits incriminés, tel est la signification du
principe de la légalité des délits et des peines. Principe de valeur
constitutionnelle. Le tribunal de Mahdia
ne pouvait donc, à défaut de loi pénalisant l’atteinte supposée au
« sacré », condamner les inculpés sur cette base. Pourtant c’est bien
cette atteinte qui est réprimée. L’habillage juridique utilisé est un artifice
qui annihile la pétition de principe du jugement selon laquelle les inculpés ne
sont pas poursuivis pour leurs convictions religieuses. L’habillage est trompeur et dénote d’une
politique répressive que l’on croyait révolue. Ce faisant non seulement il
viole le principe de la légalité des délits et des peines, mais il heurte les
principes directeurs qui gouvernent l’interprétation en matière pénale. Pour
les besoins de la protection de la liberté des personnes, il n’est pas possible
d’étendre l’application de la loi pénale par le raisonnement analogique, a
fortiori ou a contrario etc. La loi pénale est dit-on d’interprétation stricte
ou restrictive.
C’est à l’identique la démarche
et la position du parti islamiste Ennahda qui dirige le pays depuis les dernières élections d’octobre
2011. Après avoir essayé de faire inscrire dans la Constitution le principe de
la pénalisation de l’atteinte au « sacré », le voici qui revient à la
charge. Nouvelle preuve de sa ténacité en même temps que de son immobilisme
idéologique. Ses représentants à l’assemblée nationale constituante viennent de
déposer une proposition de loi créant une nouvelle infraction pénale. Le nouvel
article 165 bis qui devrait être ajouté au CP
punit de deux ans de prison et de deux milles dinars d’amende, la peine
étant doublée en cas de récidive, l’atteinte à leur conception du
« sacré ». Il y est question de Dieu et de ses livres, des prophètes,
et en particulier du prophète de
l’islam, de sa sunna, du sanctuaire de la Mecque, des mosquées, des églises,
des synagogues. La proposition n’incrimine
pas à proprement parler l’atteinte, mais plus prosaïquement pour mieux ouvrir
les portes de la répression, le fait de toucher
matériellement ou moralement, au « sacré ». L’infraction est
consommée par la stigmatisation, l’insulte, la dérision, l’ironie, le mépris et
la profanation. Longue liste dont on imagine qu’elle est, dans l’esprit de ses
rédacteurs, indicative et non pas limitative. Est en particulier visée toute
représentation de Dieu et des prophètes, de tous les prophètes. Qu’importe des siècles de représentation
picturale de Jésus. Qu’importe la présence imagée de Dieu chez les soufis.
Taoufik al Hakim doit convulser dans sa tombe, lui qui a conversé, dans un
texte célèbre, avec Dieu.
Il y a derrière cette proposition
une logique, celle – là même qu’adopte le tribunal de Mahdia. L’exposé des
motifs (voir le quotidien « Le Maghreb du 3 août 2012, p. 5) nous
renseigne sur l’urgence de l’incrimination : l’atteinte au
« sacré » s’est démultipliée au point de devenir insupportable, tant
au plan international qu’interne.
L’objectif est donc le protéger puisque le droit positif tunisien ne
punit pas les atteintes répétées qui l’affectent quotidiennement. En effet, le code pénal tunisien qui date de
1913 ne connaît pas une telle infraction. Défaillance qu’il faut corriger par
un texte explicite qui actuellement fait défaut. C’est clairement dire que
l’application des dispositions relatives à l’ordre public et aux bonnes mœurs,
est un pis aller, un artifice qui dans la matière pénale confine à
l’arbitraire.
A le supposer encore en vigueur,
il n’est pas sûr que les faits reprochés aux accusés tombent sous l’empire de
l’article 121 ter du CP. Une disposition de la loi se lit aussi dans son
contexte. Héritage de la politique de Ben Ali, repris de l’ancien article 62 du
Code de la presse de 1975 par une loi de 2001(loi n° 43- 2001 du 3 mai 2001),
l’article est inséré dans la section I (Rébellion) du Chapitre IV (Attentats
contre l’autorité publique commis par les particuliers) du Titre I (Attentats
contre l’ordre public) du Livre II (Infractions diverses, leur punition). Il faut donc l’isoler de son contexte pour
oublier que c’est uniquement dans le but de propagande que la diffusion ou la
vente de tracts et autres bulletins est punissable. Il faut aussi oublier qu’il
est exigé que la diffusion ou l’exposition aux regards du public doit être de
nature à nuire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Cette dernière condition
n’annule pas la première (la propagande) mais s’y ajoute. Il faut enfin
méconnaître le fait que l’ordre public en réfère en matière pénale à la paix sociale.
Celle-ci doit être l’objet ou doit risquer d’être l’objet d’une atteinte
significative. Est-ce bien le cas des faits en cause : sans le procès
personne n’en aurait entendu parler. C’est dire que ce n’est pas tant
l’atteinte ou le risque de trouble à l’ordre public qui a été sanctionnée que
des images et des descriptions dont le contenu n’était pas du goût des deux
« informateurs » et par la
suite des magistrats.
Le « sacré » est donc
bien à l’arrière fond de la décision.
Quoiqu’en dise le ministre actuel de la Justice qui, reprenant à son
compte les arguments de l’ancien régime, considère qu’il s’agit d’un procès de
droit commun, le jugement a bien un
dessein politique. Comme du temps de Ben Ali, le même article 121 ter du CP
avait servi pour juguler la liberté. Le « sacré » en lieu et place de
la sureté de l’Etat. Il est donc paradoxal de voir le tribunal l’appliquer
alors qu’il avait fait l’objet d’un usage liberticide formellement reconnu par
le décret–loi n° 2011 – 1 du 19 février 2011 portant amnistie. Ceux qui ont en
été les victimes sous l’ancien régime ont bénéficié de l’amnistie générale
(article 1er point 4), ce qui signifie qu’à leur égard l’infraction
est censée n’avoir jamais été commise. Ce sont ceux –là qui sont
aujourd’hui aux affaires qui
l’actionnent. Faut-il, pour les nouvelles victimes, attendre une autre loi
d’amnistie ?
L’article 226 bis du CP, que le
tribunal applique, est-il pas plus adéquat ? Inséré dans la section III
(Attentats aux mœurs), du Chapitre premier (Attentats contre les personnes) du
Titre II (Attentats contre les particuliers), du Livre II du CP, il est sans
rapport avec les faits de l’espèce. Il y
est question d’atteinte par les gestes ou la parole aux bonnes mœurs, à la
morale publique et à la pudeur. Les bonnes mœurs sont en relation directe avec
la vie privée et les comportements
sexuels. Y mêler la personne du prophète est le véritable sacrilège. S’en prendre au sacré dit pourtant le
tribunal équivaut à attenter aux bonnes mœurs.
Enfin, l’article
86 du code des télécommunications, lui aussi appliqué par les juges,
incrimine « quiconque
sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux
publics des télécommunications ». Dans l’article 2 du Code qui les définit
il s’agit de « tout procédé de transmission, diffusion ou réception de
signaux (le terme est ici essentiel) au moyen de support métalliques, optiques
ou radioélectriques ». Le même article 2 précise que le réseau de
télécommunications est « l’ensemble des équipements et des systèmes
assurant les télécommunications. Ce réseau est qualifié de public quand il est
ouvert au public. Ce que le texte incrimine c’est le fait de nuire aux tiers ou
de perturber leur quiétude : des appels téléphoniques répétés la nuit par
exemple, des courriels à répétition etc… Or, c’est la notion de tiers qui
reçoit une interprétation extensive. Alors que le texte de la loi protège les
individus qui sont harcelés à titre personnel le tribunal l’applique à un
groupe qui en l’occurrence est composé de deux personnes, en considérant que le
terme tiers est général. A aucun moment le tribunal ne démontre comment les
deux faux plaignants et vrais informateurs ont été l’objet d’actes de
harcèlement pouvant leur nuire ou pouvant perturber leur tranquillité. Il passe
sous silence le fait que c’est de leur propre gré, et à leur initiative, qu’ils
ont pris connaissance du contenu de la page facebook des inculpés. Le tribunal
ne dit pas comment est constitué le groupe auquel il élargit l’application de
la loi. Dans les procès en cause le groupe n’a qu’une existence fictive. A
moins de tenir les deux « plaignants – informateurs » pour les
dépositaires de l’opinion générale, et qu’ainsi se trouve réactivée
l’ancestrale institution de la Hisba qui autorise l’intervention de tout
croyant pour corriger ou faire corriger les comportements qu’il juge déviants,
le tribunal méconnaît les règles fondamentales
de la procédure moderne. : pour être partie à un procès il faut
avoir qualité et intérêt pour agir.
Le
parti-pris répressif s’éclaire aussi par la sévérité de la sanction. C’est un
principe des droits de l’homme que la peine prévue par la loi et celle
prononcée par le tribunal soit
proportionnée à l’infraction et adaptée à la peine de l’accusé. Par sa
radicalité le jugement du tribunal tourne le dos à un tel principe. Il applique en les cumulant les sanctions
maximales prévues par les trois textes.
Les inculpés sont condamnés à 5 ans de prison et 1200 dinars d’amende
sur le fondement de l’article 121 ter du CP, à six mois d’emprisonnement en
application de l’article 226 bis du même code et enfin à 2 ans de prison en
vertu de l’article 86 du code des télécommunications.
L’hypothèse
est celle d’un cumul d’infractions et/ou de peines. Le Code pénal tunisien
contient un système dualiste en cas de concours d’infractions. Il retient le
principe de non cumul des peines dans deux cas. L’article 54 consacre le
principe de non-cumul des peines lorsqu’« un même fait constitue
plusieurs infractions »,
c’est-à-dire lorsqu’un acte unique a réalisé la violation de plusieurs
dispositions légales. En l’espèce c’est l’infraction qui donne lieu à la peine
la plus forte qui seule aurait du être retenue.
L’article
55 du Code pénal réitère le même principe de solutions lorsque plusieurs
infractions sont accomplies dans un même but et se rattachent les unes aux
autres, de façon à constituer un ensemble indivisible. Ces infractions seront
considérées comme constituant une infraction unique entraînant la peine prévue
pour l’infraction la plus grave. Bien qu’étant totalement distinctes, les
différentes infractions seront soumises au régime de l’infraction unique et
justifieront le non-cumul des peines. C’est donc seulement la peine la plus
grave qui sera appliquée.
A
supposer inapplicables les dispositions
précédentes, le tribunal a fait preuve de sévérité excessive et ce en ne
faisant pas usage de
deux autres possibilités que la loi autorise
et qu’une politique criminelle recommande.
Si l’objectif du droit
pénal dans un Etat de droit n’est pas la vengeance, mais le redressement il
fallait personnaliser la peine. Tenir compte par exemple de l’absence
d’antécédents judiciaires des inculpés, ce dont le tribunal ne souffle mot.
Moduler la sanction en fonction de la personnalité des inculpés en tenant
compte de leur âge en préservant leur avenir est une obligation qui pèse sur
tout juge pénal. En ne le faisant pas le tribunal abuse des prérogatives
d’appréciation que la loi lui accorde.
La confusion des peines privatives de liberté, qui n’est pas de
droit dans le système pénal tunisien, aurait pu être prononcée par le juge en
application de l’article 56 du CP. Celui-ci dispose : « Tout individu coupable de
plusieurs infractions distinctes est puni pour chacune d'elles ; les peines ne
se confondent pas, sauf décision contraire du juge ». L’article 56 semble viser le cas
d’un concours d’infractions totalement distinctes les unes des autres et ne
visant pas un but unique. Si tel était le cas pourquoi la confusion des peines
n’a pas été décidée ?
Le jugement de Mahdia a été confirmé par la Cour d’appel de
Monastir. Il est à espérer que la Cour
de cassation rétablisse le droit dans sa fonction protectrice des libertés
individuelles et qu’elle débarrasse la
justice de l’esprit de vindicte qui compromet la démocratie.
Le12 août 2012
Traduction du jugement
République tunisienne
Ministère de la justice
Tribunal de première instance de Mahdia
Juge Rapporteur Monsieur Saïd Sfar
12/1395 Pénal
Louange à Dieu
Au nom du peuple tunisien
Jugement
correctionnel
Procès n° 12/1395
Date du
jugement : 28/03/2012
Réunie en audience
publique le 28/03/2012, la chambre correctionnelle du tribunal de première
instance de Mahdia, , composée de Monsieur Saïd Sfar, vice-président du tribunal
par interim, en qualité de président et des juges Mesdames Soumaya Chamsi et
Abir Mhamdi, membres, en présence du représentant du ministère public et avec
le concours du greffier Monsieur Adel Fathallah, a rendu le jugement suivant
opposant les deux parties :
le Ministère public
d’un côté
et, d’un autre
côté,
les accusés
1)
Jaber Ben Mohamed Ben Abdallah
Mejri, tunisien né le 23/08/1984, fils de Saïda Mejri, ouvrier, résidant rue
Cheikh Ben Salem, Ezzahra, Mehdia, gouvernorat de Mahdia (en état
d’arrestation)
2)
Ghazi Ben Mahmoud Ben Mohamed
Béji, tunisien né le 01/10/1984 à Mehdia, fils de Naïma Haj Romdhane, ouvrier journalier,
résidant au 366 cité Borj Arif, Ezzahra, Mehdia, gouvernorat de Mahdia (en état
de fuite)
Ces derniers sont traduits
devant le présent tribunal à la demande du juge d’instruction pour avoir
diffusé des publications et des écrits susceptibles de troubler l’ordre public,
de nuire à autrui via les réseaux publics de communication, d’attenter
publiquement, par le geste ou la parole aux
bonnes mœurs et ce en application des
articles 121 ter et 226 bis du Code pénal et de l’article 81 du Code des
communications, l’action publique n’étant pas prescrite.
L’audience
A l’audience du 28
mars 2012 et à la demande du ministère public, le tribunal a prononcé le huis
clos et fait évacuer la salle dès lors qu’il lui est apparu que l’affaire
touchait à l’ordre public et aux bonnes mœurs. A l’audience tenue à huis clos,
l’accusé Jaber Mejri, en état d’arrestation, a confirmé ses déclarations à l’instruction. L’accusé Ghazi Béji n’était pas
présent et il a été établi qu’il était en état de fuite.
Maître Barouil
était présent et a réservé les droits de la partie civile. Le procureur de la
république a requis le prononcé dune peine aggravée et l’exécution immédiate du
jugement et, en cas de report, l’émission d’un mandat de dépôt à l’encontre de
Jaber Mejri.
Après cela, le
tribunal a mis l’affaire en délibéré et, à la même audience, a prononcé
publiquement le présent jugement
Le
tribunal
1)
Sur les poursuites
Attendu que le juge
d’instruction du premier bureau du tribunal de première instance de Mahdia a,
en vertu de l’ordonnance de clôture de l’instruction n°138 daté du 19/03/2012, renvoyé devant le tribunal de céans les accusés dont
l’identité a été établie afin qu’ils soient jugés pour les faits mentionnées
plus haut, le délai de prescription n’ayant pas expiré.
2)
En fait
Attendu que
l’enquête préparatoire menée par Monsieur le juge d’instruction du premier
bureau du tribunal de première instance de Mahdia dont les conclusions sont
établies dans l’ordonnance de clôture de
l’instruction) n°138-01-2012 daté du 19/03/2012 ; ainsi que l’enquête
conduite par les officiers de police judiciaire de Mahdia et dont les résultats
sont consignés dans leur procès verbal n°159 daté du 5/03/2012, ont établi que
Rajab Kerrkich et Foued Echeikh Zaouali avaient informé le procureur de la
république à Mahdia que Jaber Mejri avait délibérément utilisé l’un des réseaux
sociaux sur internet pour publier des images qui offensent les sentiments des
citoyens et font outrage à la personne du Prophète paix et bénédiction sur lui.
Le procureur de la république a ordonné alors de mener l’enquête et ainsi a été
rédigé le procès verbal qui a servi de fondement à l’ouverture de l’enquête et au
présent procès.
Attendu que Monsieur
le juge d’instruction du premier bureau du tribunal de première instance a
chargé par commission rogatoire le chef de la brigade de la police judiciaire
de mener l’enquête en interrogeant les inculpés, en écoutant les témoins et
tous ceux qui doivent être entendus, en procédant aux confrontations, réquisitions,
constats, perquisitions et toutes saisies nécessaires à l’établissement des
faits, en suivant de près ce qui pourrait en résulter sur le plan de l’enquête,
et en maintenant l’inculpé Jaber Mejri en état de détention conformément à
l’article 57 du Code de procédure pénale, en réexaminant la situation de Ghazi
Béji, et en suivant de près tout ce qui est susceptible d’être dévoilé par
l’enquête à la lumière des investigations. L’enquêteur mandaté a clos ses travaux
par le procès verbal n°186 daté du 09/03/2012 qui a été transmis avec ce qui a
été saisi le 12 mars 2012 à l’instruction.
Attendu que
l’informateur Rajab Ben Mohamed Ben Ali Kerquiche a déclaré qu’il résidait à Mahdia
et qu’il avait vu par hasard sur internet et sur la page facebook de l’inculpé Jaber Mejri des images qui portent atteinte au
Prophète paix et bénédiction sur lui, qu’il s’était allé alors voir le témoin
Foued Cheikh Zaoueli et lui avait demandé ce qu’il était possible faire. Le
témoin précité lui a demandé de lui indiquer où il avait trouvé ces images et les
lui a montrées : elles étaient en effet accessibles au public sur
internet, sur le réseau social facebook et sur la page de l’inculpé Jaber Mejri.
Les objets saisis
lui ayant été présentés, il lui a été demandé d’identifier les images qu’il
avait vues. Il a déclaré qu’il avait eu la possibilité de voir vers le début du
mois de mars 2012 l’image figurant dans la pièce 10 qui avait été saisie en
plus d’autres images qui avaient offensé Fathi Jouleq et Mohamed Sghaïer qui
avaient déposé deux plaintes indépendantes à ce sujet. Rajab Ben Mohamed Ben
Ali Kerquiche et Foued Cheikh, ont quant à eux déposé la plainte qui a donné lieu
au présent procès.
Attendu que
l’informateur Foued Ben Béchir Ben Salem Zaouali a été entendu, qu’il a déclaré
qu’il résidait à Mahdia et que le dénommé Rejeb Kerchiche lui a appris qu’il
avait vu par hasard sur internet et sur la page facebook de Jaber Mejri des
images portant atteinte au Prophète paix et bénédiction sur lui. Il lui a
demandé de lui indiquer où il avait trouvé ces images et ce dernier les lui a
montrées car elles étaient accessibles au public sur internet et sur le réseau
social facebook, sur la page de l’inculpé Jaber Mejri. Quand ce qui a été saisi lui a
été présenté et quand il a été appelé à identifier les images, il a déclaré
qu’il avait eu la possibilité, vers le début du mois de mars 2012, de prendre
connaissance de l’image figurant dans la pièce n°10 qui avait été saisie en
plus de plusieurs autres images qui avaient offensé les nommés Fethi Jouleq et
Mohamed Sghaïer et dont il les avait informés. Ces derniers ont déposé deux
plaintes indépendantes à ce sujet. L’informateur (Foued Ben Béchir Ben Salem
Zaouali), a porté plainte de son côté, qui
a donné lieu à ce procès, et ce avec le concours du précité Rejeb
Kerchiche. Celui-ci a en outre déclaré avoir joint Jaber sur son téléphone dont
le numéro figurait sur sa page facebook et lui a demandé de revenir au droit
chemin et de cesser de l’offenser mais il a campé sur ses positions et a refusé
de cesser ses agissements.
Attendu que lors de
son interrogatoire par le juge d’instruction en présence du premier substitut
du procureur de la République, l’accusé Jaber Ben Mohamed Ben Abdallah Mejri a
avoué avoir publié un certain nombre d’images à connotation sexuelle ainsi que des
images portant atteinte au Prophète (paix et bénédiction sur lui). Cette
diffusion a eu lieu sur sa page personnelle facebook. Cette page ouverte au
public, est diffusée au moyen de son
adresse électronique personnelle, qui avait été crée pour lui par Ghazi Béji.
Celui-ci lui avait montré comment l’utiliser et lui avait fourni les images qu’il
a ainsi diffusé. Le prévenu Ghazi Béji l’avait aidé et lui avait montré ces images
avant leur publication et lui avait indiqué qu’elles faisait partie d’un
document électronique, un livre, écrit par lui et auquel il avait donné le
titre de « L’illusion de l’islam ». Il lui en avait aussi montré le
contenu y compris les images représentant le Prophète paix et bénédiction sur
lui dans des positions dégradantes comme celles figurant dans les pièces n°03,
04, 05 et 10, documents saisis, numérotés et présentés à l’accusé qui a affirmé
que c’était le prévenu Ghazi Béji qui lui avait donné ces images et l’avait
incité et aidé à les diffuser sur sa page personnelle facebook ouverte au
public. Le contenu d’un CD saisi contenant un document numérique de type pdf
intitulé « L’illusion de l’islam » lui ayant été soumis, l’accusé a
déclaré que ces images étaient le fait de Ghazi Béji qui était un de ses amis qu’il avait
l’habitude de fréquenter. C’est lui qui avait de l’influence sur lui et qui
avait téléchargé ce document numérique sur un site ouvert au public auquel on
pouvait accéder par le biais de moteurs de recherche simplement en introduisant
le nom du prévenu Ghazi Béji, de sorte que l’utilisateur était renvoyé vers
plusieurs liens concernant le précité Ghazi et entre autres vers le lien du
document soumis à l’accusé. L’auteur de ce document, Ghazi Béji, d’après ce
qu’il lui a appris, a également créé pour ce document un lien direct sur sa
page facebook personnelle. A l’examen par l’accusé des pièces n°01, 02 et 06 et à leur comparaison avec le
contenu du CD, il a déclaré admettre l’identité entre ces pièces et le contenu
du document électronique « l’illusion de l’islam » qui lui avait été soumis.
Il a admis qu’il savait que ce document
était l’œuvre de Ghazi Béji conformément
à ce qui était consigné, que Ghazi le lui avait montré à plusieurs occasions et
que les images figurant sur sa page facebook étaient extraites essentiellement
de ce document. L’accusé a demandé qu’on mentionne qu’il avait agi sous
l’influence Ghazi Béji et qu’il appartenait à une famille pieuse et
conservatrice. Le juge d’instruction l’a informé alors qu’il n’avait pas été interrogé pour ses
croyances ou ses idées mais qu’il était poursuivi pour des actes tombant sous
le coup de la loi car les images qu’il a publiées sont méprisantes pour les
croyances des gens et sont susceptibles de troubler l’ordre public, en plus de
leur connotation sexuelle qui porte atteinte aux bonnes mœurs.
Attendu que Monsieur
le premier substitut du procureur de la république a remarqué suite à
l’interrogatoire que l’inculpé était l’objet de deux procès indépendants ayant
pour motif l’offense à Fathi Jouleq et Mohamed Sghaïer, objet des pièces saisies n°07 et 08.
Attendu que lors de
son interrogatoire, l’accusé Jaber a maintenu ses déclarations telles qu’elles
ont été consignées par le juge d’instruction.
Attendu que Ghazi
Béji, en état de fuite, n’a pu être interrogé et que le mandat d’amener à son
encontre n’a pu être appliqué parce qu’il n’a pu être retrouvé. Il est de ce
fait objet de recherches judiciaires.
Attendu qu’en
exécution de la commission rogatoire, il a été procédé à l’examen de la page
facebook personnelle de l’accusé Jaber, que cet examen a permis d’établir l’existence
de deux images qui ont été extraites de cette page, que les enquêteurs ont
aussi extrait de l’un des sites ouverts publics sur internet un document
numérique de type PDF consistant en un livre intitulé « L’illusion de
l’islam » dont la couverture atteste que Ghazi Béji en est l’auteur et qui
contient nombre de commentaires et d’illustrations portant atteinte au Prophète
paix et bénédiction sur lui.
Attendu que
l’ordinateur portable personnel de Jaber Mejri a été saisi en même temps que le
CD présenté à l’instruction par le chef de la police judiciaire de Mahdia, que
ce CD contient le document numérique intitulé « L’illusion de
l’islam », qu’en outre onze pages extraites d’internet numérotées dans
l’ordre et sur lesquelles a été apposé le cachet du tribunal ont été saisies, que
l’ensemble de ces documents saisis ont été soumis à Jaber Mejri.
3/ En droit
Attendu qu’il
appert des enquêtes menées telles que rappelées ci dessus que les deux accusés
ont utilisé internet pour diffuser dans les documents saisi, mis à la
disposition du public et à l’usage des internautes, des images et des
commentaires offensants ayant des significations sexuelles et portant atteinte
aux bonnes mœurs.
Attendu que,
abstraction faite des croyances religieuses des deux accusés ou de leur absence
de croyance religieuse, qui ne peut en aucun faire l’objet d’une incrimination
en ce qu’elles relèvent de leur liberté individuelle et religieuse garantie par
les conventions internationales et notamment par la Déclaration des droits de
l’homme du 10 décembre 1945 ratifiée par la Tunisie, il n’en pas moins établi
au vu des documents saisis dont certaines pages extraites d’internet ont été
répertoriées, numérotées et frappées du
sceau de tribunal, ainsi que du CD et de l’ordinateur personnel de l’accusé
Jaber Mejri, qu’ils comportent des images dont leur auteur imaginait qu’elles
représentaient le saint Prophète, d’une manière dégradante et méprisante le
montrant dans des postures à connotation sexuelle avec une représentation animale. Qu’il s’agit
donc de publications de nature à provoquer
les sentiments d’autrui et dont la diffusion a pour conséquence de troubler
l’ordre public.
Attendu que le fait
pour les deux accusés d’avoir publié et
diffusé ces images et ces commentaires offensants tombe sous le coup de la loi
pénalisant la diffusion de publications et d’écrits susceptibles de troubler
l’ordre public conformément à l’article 121 ter du Code pénal, que les deux accusés ont diffusé publiquement ces
images et ces commentaires en les mettant à disposition du public sur internet,
qu’ils ont publié ces dessins délibérément, en parfaite connaissance de l’atteinte
qu’ils portent au sacré et d’offense aux sentiments des gens, ce qui est de
nature à de nourrir la discorde et à troubler l’ordre public.
Attendu que
l’article 226 bis du code pénal dispose : « Est punie de six mois de
prison et d’une amende de 1000 dinars toute personne porte publiquement aux
bonnes mœurs ou à la morale publique par le geste ou la parole… »
Attendu que, si le
législateur tunisien n’a pas défini les bonnes mœurs, la jurisprudence tranchant
la la question a considéré que les bonnes mœurs sont constituées de l’ensemble
des règles morales, coutumes, traditions, prescriptions religieuse dominantes
dans la société et auxquelles il est interdit de contrevenir.
Attendu que les
actes commis par les deux accusés sont constitutifs du délit d’atteinte
publique faite par le geste ou la parole aux bonnes mœurs, prévue à l’article
226 bis du Code pénal, puisque les images et les écrits incriminés offensent la
personne du saint Prophète paix et bénédiction sur lui, que ces propos, écrits
et gestes consignés répondent au critère
de la publicité, et qu’il est de jurisprudence constante que la justice réprime
toute tentative de s’en prendre au sacré
chez les gens ( à l’instar du blasphème qui est une offense par la parole à
Dieu) ce qui équivaut à porter atteinte aux bonnes mœurs.
Attendu que les
actes commis par les deux accusés sont constitutifs du délit d’offense à autrui
via les réseaux publics de communication conformément à l’article 81 du code
des communications, que leurs publications comportent non seulement une
atteinte à une personne déterminée mais à l’ensemble des gens et aux instances
publiques, qu’ils ont délibérément choisi de provoquer ce sentiment d’offense chez
autrui, sachant que l’expression autrui figurant dans l’article 81 précité, a
un sens général et qu’elle s’applique à l’offense faite à un individu ou à un groupe.
Attendu que la culpabilité
des deux accusés est établie par les pièces saisies extraites du réseau
internet ouvert au public telles que rapportées au procès verbal d’enquête n°3/186,
par l’interrogatoire de Jaber Mejri, par l’examen contradictoire des pièces
saisies par ses aveux détaillés, par son
témoignage sur Ghazi Béji, aveux et témoignages conformes à ses déclarations lors
de l’enquête préliminaire et l’instruction et enfin, par les témoignage des
deux informateurs Rejeb Kerkiche et Foued Cheikh Zaouali, ainsi que par la fuite
de l’accusé Ghazi.
Attendu au vu de ce
précède, que les accusés sont coupables
des infractions qui leur sont reprochés, qu’il y a lieu de leur appliquer une
sanction qui soit à la mesure de la gravité des faits commis et des circonstances
des faits avec exécution immédiate de la
sanction physique à l’encontre de Ghazi.
Attendu qu’on que les
pièces à convictions restent saisies en application à l’article 174 du Code de
procédure pénale.
Attendu que les
dépens seront assumés par l’ensemble des condamnés conformément à l’article 191
du Code de procédure pénale.
Par ces
motifs
Vu ce qui
précède
Le tribunal, condamne contradictoirement en premier ressort
Jaber Mejri et, par défaut Ghazi Beji à
cinq ans de prison, chacun, et à une amende de 1.200.000 dinars chacun pour
avoir publié et diffusé des écrits susceptibles de troubler l’ordre public, à
deux ans de prison chacun pour offense à autrui via les réseaux publics de
communication, à six mois de prison pour outrage aux bonnes mœurs par le geste
et la parole et à supporter les frais de justice avec exécution immédiate en ce
qui concerne la sanction privative de liberté à l’encontre de l’accusé Ghazi et
maintient la saisie des preuves constituant les pièces à conviction du dossier.
Le jugement:
Avis d'arrestation de Ghazi El Béji
les interrogatoires
La plainte contre Jabeur:
Rapport de Saisie:
QUAND LES VICTIMES DEVIENNENT BOURREAUX ?ON NE S EN SORTIRA JAMAIS DE L INJUSTICE SUR TERRE
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